21 juin 2010

UV Histoire des Médias - "L'objectivité de la presse écrite et du photo-journalisme" 27-06-2003

 Les grands débats ne meurent jamais parait-il. Il en est un qui semble ne pas être prêt à prendre la poussière au musée des modes perdues : l'objectivité de la presse. Il est un point sur lequel tout le monde semble s'accorder : l'objectivité est une utopie. Illusion d'une valeur au milieu d'un monde qui se veut démocratique et libre d'idéaux. Le journalisme écrit et le photo-journalisme sont au centre de ces préoccupations héroïques - et défendables- de notre société.

Rappelons d'abord l'essentiel : nous nous passerons d'une longue liste de dates et d'anecdotes historiques. Le journalisme écrit est aussi vieux que Versailles - quasiment. Il est né et a vécu ses premiers jours dans une non-recherche d'objectivité : on parlait du Roi, de la Cour, et, du Roi... C'est plus tard, après la Révolution Française, qu'émerge une notion importante : l'Opinion Publique, et donc, l'Esprit Contestataire.

Revenons deux secondes au photo-journalisme : né pour les besoins de la guerre. L'appareil photo avait un déclenchement très long : le cliché de guerre pris à la sauvette n'existait pas. Il était pour ainsi dire, construit et mis en scène.

D'une façon complètement nouvelle et revisitée, le photo-journalisme est pourtant toujours de la mise en scène. S'il y a recherche, ne serait-ce que stylistique, comment peut-il y avoir objectivité? De part la photographie utilisée par le journaliste, nait le point de vue.

Afin d'enrayer ce processus infernal, toutes les combines sont bonnes. Ainsi, le photographe qui se veut objectif ne peut que tenter de l'être. Car même inconsciemment semble-t-il, la non-objectivité demeure. Donnons comme exemple concret le choix du cadrage. En celui-ci réside l'essence même de ce qu'on décide ou non de suggérer par le hors-champ. Véritable problème de la construction photographique, et comme le disait très bien le Dauphin du concours Pulitzer, Carter : "La photographie dit tout sauf ce que l'on veut bien qu'elle dise."

Passons au journalisme écrit. Son problème, ce sont les mots. On sait bien que la façon de dire les choses change considérablement l'impression que l'on se fait de ce qui a été dit. Il est évident que si l'on vous annonce que vous allez mourir demain, vous risquez la syncope dans l'instant! Madame Soleil préfèrera vous avertir d'un changement brutal, d'une remise à zéro. Ainsi donc, aucun doute la-dessus : la forme prime sur le contenu. Fait compris et plus qu'utilisé par la propagande qu'elle se veuille politique, religieuse ou administrative.

Avec les mots donc, ceux qui sont utilisés plutôt que d'autres, ceux qui sont rajoutés ou ambigus, l'auteur (qu'il ne veuille ou non) signe son texte de sa personnalité. Il glisse dans ses écrits, des indices de son point de vue sur un fait (puisque nous parlons de journalisme) qui se veut donc impartial. Pour éviter de porter une étiquette d'un parti politique, il y a une solution : juxtaposer des points de vue parmi lesquels, le lecteur choisirait.

Afin de se rapprocher de façon logarithmique (c'est-à-dire toujours un peu plus, mais jamais vraiment) d'une objectivité, le journaliste choisit en général l'exposition des faits. Il semble résider un minuscule problème : à moins d'écrire un article d'une centaine de pages, exposant tour à tour les divers contextes entourant un fait (politique, économique, social, religieux...), les autres faits liés à l'évènement et leurs contextes à eux, les biographies des protagonistes (et de leurs familles, amis..), et tous les autres paramètres qui feraient que finalement, on tenderait vraiment vraiment vraiment à se rapprocher de l'Objectivité; à moins de tout cela, le journaliste choisit ce qu'il dit ou non. En ce choix même réside le point de vue et la prise de position.

Selon certains, c'est l'abondance d'accès à l'information qui la rend véridique. L'objectivité aussi poussée soit-elle d'un évènement, si elle n'est lue que par un public restreint, n'a aucun intérêt d'être. Le fait, pour qu'il reste un fait, doit être répété. En corolaire, un fait est considéré comme un point de vue s'il est exposé de façon unique et sporadique.

C'est notre pauvre journaliste qui réalise un jour que ses efforts pour rester objectif sont vains. Il se dit que finalement, il peut bien s'en rapprocher autant qu'il peut, il n'est capable de lutter contre une seule chose : la position unique, c'est-à-dire, la propagande. En optant pour la solution de l'exposition des faits par choix multiples, il n'est pas plus objectif, mais moins totalitaire! Et ça, c'est du bon boulot!

Mais voila, grande remise en question de notre journaliste Dupond qui, accroché à la fenêtre de son quinzième étage, se pose la question ultime : quoi de moins hypocrite que la propagande ?

La caricature de presse use et abuse avec humour et cynisme de la prise de position à des fins presque plus objectives que la louable et pré-travaillée "recherche objective".

Gros dilemme que voilà : l'anti-recherche-objective, un symbole de la liberté d'expression ?

Il semble pourtant que non! Mais, il y a quand même du vrai : c'est grâce au coté humoristique de la caricature que nous prenons le fait exagéré, grossi, comme matière à réflexion. La caricature pousse à la réflexion personnelle et donc s'oppose à l'imposition d'un point de vue unique. En cela, elle n'est pas totalement objective, mais suggère aux lecteur de faire le travail qu'il est impossible de faire par le journaliste : la recherche des contextes, l'approfondissement intellectuel et culturel au sujet d'un fait d'actualité.

Dupond qui est devenu entre temps, grand maitre de la caricature, s'est rassuré sur un point : la quasi-objectivité de la presse existe et par bien des manières il est possible de pousser le lecteur à réfléchir de lui-même et à avoir son propre système de pensée sur un fait. C'est justement ici que se situe le problème de la propagande : conditionner les pensées dans un sens et exclure les autres. Après tout, si l'objectivité au sens pur du mot est utopie, on peut s'en rapprocher considérablement.


Crédit photo : extrait de Tintin au pays des Soviets.

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